“Pas seulement l’adaptation aux changements, mais aussi l’ajout constant de valeur.” (Manifeste des artisans du logiciel)

“Vous avez 100x plus de valeur en étant orienté produit et en ayant un mindset centré client”. (Developer Full Stack)

En Grèce antique, les démiurges étaient des travailleurs indépendants, juridiquement libres mais n’appartenant à aucune communauté. Ils avaient une compétence particulière et recherchée (notamment les artisans du métal) donc avaient un statut plus enviables à celui des banausos. (Wikipedia)

Depuis qu’internet existe il y est impossible de séparer logiciel et innovation. Tout développeur est affublé d’une aura d’innovateur (c’est à dire d’inventeur qui réussit) : jeune, réfléchi mais audacieux, maîtrisant la pleine pile des technos du jour, et qui raisonne non pas seulement en ingénieur, mais en entrepreneur. Nos démiurges contemporains.

En entreprise, une sorte d’approche hyper-pragmatique, exploitant au mieux les retours d’information afin de déployer au plus tôt une innovation sur un marché structuré par le capital-risque, et qui caractérisait initialement les pure players du WEB, semble être devenue la nouvelle norme pour tout ce qui touche au logiciel.

C’est un cliché tenace, car médiatiquement flatteur :

Développer, c’est créer un produit.

(Dans une software factory, pilotée par un Product Manager).

Or un projet, même important, même réalisé en agile, ne vise pas forcément à créer un produit. Le projet C3 de Chrysler par ex., qui a révélé XP, ne visait pas cela.

Il est inutile et même trompeur de vouloir appeler “produit” tout logiciel réalisé par des développeurs, à moins d’entendre par produit le simple résultat d’une transformation. Mais à ce compte là, quand j’enregistre un message d’accueil sur ma boite vocale je crée aussi un produit.

Les développeurs que je rencontre dans les entreprises (de toutes tailles) ne sont pas des créateurs de produit :

  • leur travail consiste plutôt à résoudre des problèmes complexes ou compliqués à l’aide de la technologie
  • leur préoccupation, ce n’est pas la valeur ou le marché, mais les solutions existantes, qu’il faut faire évoluer tant bien que mal

Le “produit” limpide, innovant, remarquable à propos duquel l’équipe claironnait il y a 5 ans, c’est maintenant un gros paquet de code legacy, sur lequel des consultants posent un regard blasé, avant de lâcher leur “préco” : refondre.

Comme tout le monde je suis intéressé, enthousiasmé parfois, par un produit nouveau et malin. Mais j’ai le soupçon que la chanson de l’innovation permanente qui fait musique de fond dans le supermarché de notre industrie sert en fait à masquer une incapacité chronique à réparer et faire évoluer nos programmes.

Pas vous ?

publié sur Linked In le 28/02/2024